En fondant la revue Mirabilia, notre intention était non pas d’assigner au merveilleux une catégorie jugée «représentative » mais de nous lancer, au contraire, sur ses traces multiples, quel que soit le champ où cellesci nous mèneraient.
En ouverture, le Voyage qu’effectue saint Brandan sous le signe de la foi chrétienne la plus ingénue et, sur le versant opposé, la navigation infiniment tragique et sombre de la Médée de Pietro Citati, nous rappellent que le merveilleux s’enracine dans l’immense fonds de mythes, de légendes et de croyances de nos cultures. En un mouvement inverse, les deux textes suivants le replie, comme pour mieux le concentrer, sur un mot dans le premier cas, sur un nom dans le second : le mot vu en rêve par Semih Kaplano?lu et le nom recueilli sur les lèvres d’un mort par Jean Giono sont les clés de l’oeuvre en gestation chez le cinéaste comme chez le romancier. Dans le portfolio central, le merveilleux devient le chiffre de la beauté du monde lorsque Michael Kenna rencontre un arbre ou un paysage

Jaillissant des Fragments de Novalis sur la mathématique, la physique et la chimie, dont Olivier Schefer nous explique que leur aridité est souvent le terreau des plus lumineuses intuitions du poète, le merveilleux parade ensuite dans la luxuriante inventivité de la nature que la science nous donne à voir en compagnie de Francis Hallé, étudiant la forêt tropicale. Enfin la fillette imaginée par le peintre Léon Spilliaert et qui le guide, nous dit Anne Guglielmetti, dans l’oppressante étrangeté des objets et des lieux peuplant ses dessins, ainsi que la très jeune héroïne de la nouvelle de Vincent Gille qui invente un rêve amoureux parce que l’on ne peut «raisonnablement » pas accepter que les choses aillent d’une allure navrante, témoignent de la toute puissance de l’imaginaire en matière de merveilleux.
Chaque texte met donc en lumière une facette de ce dernier. Mais ce qui était à l’origine une simple juxtaposition a rapidement suscité d‘étonnantes correspondances. Nous espérons avoir ainsi esquissé le portrait d’un merveilleux reflétant une réalité dans laquelle « tout est magie ou rien» (Novalis).

Sans renoncer à cet esprit d’ouverture, les numéros à venir auront chacun leur thématique : la source, la frayeur, le miroir, les oiseaux, le temps... Il en va, bien sûr, du goût de la pensée, d’une foi intacte en la richesse infinie des mots et des images, du plaisir gourmand de la découverte, de la surprise et de l’émerveillement. Dans l’entretien qu’elle nous a accordé, Annie Le Brun souligne combien le merveilleux, quintessence de l’imprévisible, déjoue tout calcul, toute exploitation, tout «formatage». Qu’il soit aussi, comme le montre l’enquête lancée à l’occasion de la création de Mirabilia, une réalité toujours vivante pour la plupart d’entre nous, ne peut que réjouir !

Nous remercions les auteurs et les abonnés d’avant la première heure, ainsi que tous ceux dont l’émotion, l’enthousiasme, la générosité et les connaissances ont permis à Mirabilia de voir le jour, en particulier Anne Adriaens-Pannier, Laurence Bobis, Anne Bresson-Lucas, Janus Budewijns, Noémi Cingöz, les éditions Actes Sud, René Guglielmetti, Mara Mariano, Gabriel Massa, Brigitte Pérol, Martine Renaudin d’Arc, Francesca Ragusa, Luc Schrobiltgen, Caroline Stein, Caroline Taylor, ainsi que celles et ceux qui ont répondu à notre enquête.