Chers amies et amis

Après une année d’interruption, nous avons le plus vif plaisir à vous retrouver pour une deuxième série que nous espérons aussi fournie que la précédente.
Que le premier numéro de cette nouvelle série soit consacré au corps humain n’est pas le signe d’un anthropocentrisme qui ressemblerait bien peu au propos des vagabondages et célébrations antérieurs de Mirabilia.

Le corps humain ? Diable ! La tradition veut effectivement que le diable pointe le bout de son nez dès que l’on aborde pareil sujet mais, de sa présence ici, vous serez seuls juges ! En revanche Mirabilia savait très bien, en choisissant ce thème, que le corps qu’elle entendait saluer en textes et en images n’était pas celui dont, aujourd’hui, on nous rebat yeux et oreilles : corps présentoir de modes vestimentaires, corps faire-valoir de n’importe quelle marchandise, corps bodybuildé des dits centres de remise en forme ou corps de compétition sportive... « Je suis “ anti-corps ”! » s’exclame, agacé, le danseur et chorégraphe Dominique Dupuy lorsque Mirabilia s’entretient avec lui sur ses longues années d’une pratique et d’une création passionnées. Parce que la danse est comme le mouvement même de la vie ? « Oui ».

Un « oui » que ne renieraient pas les deux anges du film de Wim Wenders et Peter Handke, Les Ailes du désir, dont le bref dialogue ouvre ce numéro. Un « oui » à la fantaisie débridée dans l’hommage de Malcolm de Chazal au corps humain et à ses cinq sens, extrait de l’étonnant florilège d’aphorismes de Sens plastique. Un « oui » pétri d’admiration et d’une culture qui a l’élégance de la discrétion dans le superbe « Éloge de la main » d’Henri Focillon. Un « oui » qui a le franc-parler des dictons populaires pour exprimer, tantôt avec ironie, tantôt avec tendresse, combien nos vies ne sont pas celles de purs esprits !

Car le lien entre le corps et l’esprit a toujours été en Occident une épineuse question, comme le souligne Anne Guglielmetti. Ailleurs, pourtant, ce lien peut être tout autre, ainsi que nous l’explique l’ethnologue Maurice Leenhardt à propos des Canaques de Nouvelle-Calédonie et comme le montrent, dans le cahier central, les photographies réalisées par Hans Silvester avec les Suris d’Éthiopie. Reste que l’Occident aussi rêve quelquefois d’abolir les limites du corps et d’une orgueilleuse conscience retirée dans son splendide isolement, ainsi qu’en témoigne l’étrange nouvelle de Primo Levi. Au royaume de l’enfance turbulente, nous dit Vincent Gille, le corps et le monde se découvrent l’un l’autre avec bonheur, à la jonction d’une conscience naissante, tandis que Nathalie Picard nous raconte ce que trente-cinq ans de pratique méziériste lui ont appris de ce « livre ouvert » qu’est le corps humain. Et le diable dans tout cela, réputé hanter la chair et pervertir l’esprit ? D. H. Lawrence nous apporte, avec sa verve inimitable, sa propre réponse.

Mirabilia remercie ses lectrices et lecteurs de leur patience et de leur fidélité et, pour ce numéro plus particulièrement, Mara Mariano, Laurence Posselle et Francine Zubeil.

Anne Guglielmetti, Vincent Gille