Il y a longtemps que Mirabilia souhaitait rendre hommage à la Terre et, avant même l’épidémie qui nous a obligés à décaler la parution du présent numéro, ce thème s’est imposé avec force. La Terre ne tourne plus rond depuis des décennies, la terre se meurt, et nous savons pourquoi ; le coronavirus n’est venu que « mettre les points sur les i ».
Ces pages, pourtant, ne sont pas un requiem. Elles entendent célébrer celle que les cosmonautes nomment avec émotion « notre Terre », et dont les photographies de la Nasa reproduites ici disent à la fois la beauté et la petitesse, la fragilité et l’exception qu’est sa présence, ceinte d’une mince atmosphère et si riche de vie, dans l’immensité de l’univers. La Terre qui nous porte, mais aussi, entre deux océans, la terre sous nos pieds.
Celle qui « tremble », quelquefois – et le verbe est faible quand les forces tapies dans son noyau entrent en action. Heinrich von Kleist l’évoque dans la nouvelle qui, en ouverture du numéro, relate la destruction de Santagio du Chili par un séisme, à l’instar de celui qui a dévasté Lisbonne et a tant marqué les esprits ; mais à côté de cette puissance destructrice, il existe une cruauté humaine dont Kleist souligne la non moins terrifiante implacabilité et l’absurdité.
Celle « qui rit, brille, resplendit », autrement dit Gaia, comme la nommaient les Latins, en opposition justement au sombre abîme caché dans ses entrailles. Comment et pourquoi est-on passé de l’une à l’autre, du mystère vivant à « l’image », puis de l’image chatoyante au sévère schéma cartographique, c’est ce que nous explique Franco Farinelli dans le chapitre intitulé « Le Manteau de la Terre » de son essai L’Invention de la Terre. Et que ce « manteau » resplendit, en effet, combien il est beau ! Illusion, tromperie ? Non pas. Enigme, plutôt, qui touche droit au cœur, comme l’est Mathias dans les pages reproduites du roman d’Anne Guglielmetti. Mais, au fait, à qui appartient-elle, cette terre sous nos pieds ? La Déclaration adressée, en 1984, au gouvernement français par Félix Tiouka, au nom des Amérindiens de Guyane française, s’insurge contre ce qui fut une expropriation manu militari mais aussi et surtout la négation brutale d’une harmonie entre une terre nourricière et une population : « Nana inonoli » obtiendra-t-elle jamais une réponse, une reconnaissance de ses droits ? La question est plus que jamais d’actualité.
Celle qui a inspiré et inspire encore tant de légendes, dont la belle histoire du jeune potier écrite pour Mirabilia par la conteuse Myriam Rubis, et que parcourt, lors d’un incroyable périple à pied, de New York au détroit de Béring, l’héroïne du cinéaste Andreas Horvath, Lillian, dans le film éponyme. La terre comme nous ne l’avons jamais vue, jamais sentie sous nos pieds, par le truchement de la comédienne qui a incarné, littéralement, cette femme qui s’évanouit dans le paysage : Patrycja Planik, qui a accepté d’évoquer le tournage du film pour Mirabilia.
Mais aussi la terre au bout des doigts, ceux du sculpteur Tidru, dont les personnages habitent, avec un tendre humour, le cahier central de leurs rêveries, leurs interrogations, leur timidité, inscrites à même le matériau ancestral qu’est la terre cuite, conjuguée étonnamment ici au dessin. La terre et le feu, rencontre aussi ancienne que l’humanité et dont témoigne encore la Briqueterie de M. Fontaine. La terre et l’homme qui la cultive, autre alliance pluriséculaire et combien cruciale aujourd’hui, est au centre de l’entretien réalisé avec Yves Vanhoecke, agriculteur « bio ». La terre, enfin, et la surprenante diversité de ses couleurs dans l’œuvre de l’artiste japonais Koichi Kurita, présentée par François Bon.
Ce numéro se serait refermé, tel un clin d’œil, au demeurant très sérieux, sur ceux qui vivent à notre insu sous nos pieds dans l’obscurité et dont la fonction est primordiale : les vers de terre, chers à Marcel Bouché, mais… entre temps, le Covid 19, nous le disions, « a mis les points sur les i » de nos responsabilités et nous ne pouvions pas ne pas l’évoquer. C’est donc par la belle lettre de Dominique Carron que se referme ce numéro consacré à la Terre et ses merveilles en péril.
Nous remercions tout particulièrement de leur aide et leur soutien pour ce numéro, outre les artistes et les auteurs sans qui rien ne serait, Christophe Carraud et les éditions de la revue Conférence, Laurent Fontaine, Mara Mariano, Maddalena Moretti, Laurence Posselle, Félix Tiouka, Dominique Truco et Yves Vanhoecke.