Parce que l’imaginaire y est chez lui autant que la réalité la plus concrète, parce qu’il célèbre les mots et l’être humain, parce qu’il est le royaume de l’artifice sur lequel affleure l’éternelle énigme, parce qu’il réunit dans une même émotion ceux, en chair et en os, qui sont assis dans la salle, et ceux, en chair et en os, qui jouent sur la scène, parce qu’il est le lieu par excellence d’un travail collectif réunissant plusieurs métiers qui font de lui la métaphore d’une société vivante et créatrice, où chacun, quelque soit sa fonction, est indispensable, « le Théâtre » ne pouvait que séduire Mirabilia, et nous sommes particulièrement heureux de lui donner la parole en ce printemps 2021, alors que les théâtres sont réduits au silence depuis un an.

Donner la parole, et non « parler au nom de », a été d’emblée l’intention et le but. L’option d’un numéro entièrement composé d’entretiens s’est très vite imposée. Et nous espérons que, dans le passage de l’oral à l’écrit, la voix qui raconte aura gardé toute la spontanéité et la passion de celle ou de celui qui a bien voulu nous répondre. Car si le théâtre est fait d’interrogations autour d’un texte, de techniques sophistiquées et de bouts de ficelle, de rencontres et de tâtonnements, de confrontations et d’affinités, il est aussi et surtout le fruit d’une passion souvent née dans l’enfance.

Etranges métiers que ceux qui concourent à la création d’une pièce, jusqu’au lever de rideau, le jour de « la première » ! Eric Ruf nous rappelait que les comédiens étaient, du temps de Molière, privés de sépulture en « terre consacrée » comme les juifs, les protestants et les suicidés. Et Bertrand Couderc s’étonne toujours de cet « impalpable » avec lequel il travaille depuis des décennies : la lumière. Même étonnement émerveillé chez le scénographe Alain Batifoulier qui construit peu à peu un univers entièrement fictif pour être entièrement « vrai » dans lequel évolueront des personnages. Et même plaisir d’une recherche minutieuse et patiente chez Sarah Leterrier, qui habille une Ophélie d’hier ou d’aujourd’hui et un Hamlet. Reste un personnage central parce qu’à la croisée des chemins : le metteur en scène. Avec sa sensibilité à fleur de peau et son admirable sincérité, Eric Ruf, metteur en scène lui-même, nous parle de son métier et des maîtres qu’il a cotoyés . Reste aussi celui qui, de nos jours, est souvent réduit à la plus grande discrétion, voire carrément éclipsé : l’auteur, dont Jean-Michel Rives prend la défense, haut et fort. Reste enfin que le théâtre n’est pas qu’une entreprise citadine : Céline Codogno et Alexandre Colas, codirecteurs de La Compagnie du Théâtre, sillonnent les routes du Perche depuis quinze ans et, disent-ils : « Nous avons toujours vécu et travaillé en accord avec nous-mêmes, avec nos idées, et nous en sommes fiers. Et puis on a vraiment pris plaisir à ce que nous faisions ! »

La boucle, cependant, ne serait pas bouclée si nous ne revenions pas aux comédiens : Mirabilia a choisi d’interroger les comédiens de demain par l’intermédiaire de Garance Robert de Macy et Richard Le Gall, tous deux en dernière année du Conservatoire national d’Art dramatique à Paris : l’avenir appartient à leurs rêves et à leurs espoirs. Et le public ? Le public qui manque si cruellement aujourd’hui aux théâtres et gens de théâtre comme ceux-ci nous manquent ! Il est là. C’est lui qui ouvre le numéro, avec Karim Haouadeg, qui nous livre ses souvenirs enthousiastes de spectateur et de critique.

Comme pour tout sujet choisi par Mirabilia, ce seizième numéro ne pouvait qu’aborder un thème trop vaste pour tenir dans un nombre fini de pages. Mais nous espérons que les photographies qui le ponctuent ainsi que les frises d’Alain Batifoulier ne feront que redoubler le désir, que nous savons être aussi le vôtre, de voir les théâtres rouvrir leurs portes et revivre enfin !
Tous nos remerciements vont également à Aline Jones-Gorlin, Mélinée Moreau et Carole Reppel.