Après la patience et l’hiver, le deuxième volet de la trilogie que Mirabilia a placée sous l’égide d’Épicure est consacré à l’espérance et au printemps. Dans son propos liminaire, Robert Harrison nous rappelait qu’aux yeux du philosophe grec, espérer que « l’avenir concrétisera le bonheur que nous cultivons dans le présent » est le meilleur rempart contre les incertitudes de l’avenir et la crainte de la mort. Cet ancrage dans la vie et en elle seule fait de l’espérance une vertu fragile et exigeante, et c’est sur ses traces que Mirabilia s’est lancé.
Force est de constater que, depuis Épicure, l’espérance n’a pas bonne presse auprès des philosophes. Ne serait-elle qu’une source d’illusions, comme la plupart le prétendent ? L’histoire semble leur avoir donné raison : les xixe et xxe siècles ont orchestré une industrialisation sans frein, fondée sur le pillage systématique des ressources naturelles, et installé les pires totalitarismes au nom, précisément, d’un avenir radieux. Ce constat est aussi amer que le mythe de Pandore : que faire de l’espoir resté au fond de la jarre après que tous les maux qui y étaient enfermés se sont répandus sur la terre ?
Si Mirabilia a choisi d’ouvrir ce numéro sur l’espérance par les pages que Vassili Grossman consacre à cette question dans Vie et Destin, c’est que cet écrivain, qui fut témoin et victime de la barbarie nazie et stalinienne, écrit au terme d’une réflexion d’une admirable lucidité : « L’histoire des hommes n’est pas le combat du bien cherchant à vaincre le mal. L’histoire de l’homme c’est le combat du mal cherchant à écraser la minuscule graine d’humanité » dans chacun d’entre nous.
À une échelle tout autre mais dans une même quête de la « minuscule graine d’humanité », Adélina Gallet, dont le métier est d’accompagner des personnes placées sous main de justice, plaide pour un chemin qui permettra de réparer des vies dévastées souvent depuis l’enfance et qui, retrouvant un peu d’estime de soi, pourront peut-être alors envisager un avenir.
Dans le second entretien de ce numéro, des militants d’Extinction Rebellion et de Dernière Rénovation témoignent du désarroi puis de la colère qui les ont amenés à s’engager. L’espoir, si espoir il y a encore pour eux, réside tout entier dans les actions de résistance et de désobéissance civile auxquelles ils appellent et participent afin de dénoncer et de contrer l’hypocrisie des pouvoirs publics face au désastre climatique.
C’est aussi avec une singulière acuité que Luigi Pirandello décrit, dans Un filet d’air, la lente prise de conscience d’un vieillard qui, au terme de son existence, découvre la cause de la joyeuse effervescence qui s’empare de ceux qui l’entourent. Cet implacable portrait pourrait être celui d’un monde, le nôtre, qui court toujours derrière des mirages de toute puissance et ne connaît que la loi du profit, y compris dans des sociétés qui se réclament encore de la démocratie
L’élan printanier n’est pas seulement espérance, il est d’abord renouveau en actes et, comme nous le rappelle Anne Guglielmetti, il n’a nul besoin du calendrier, cette invention purement humaine, pour savoir que « c’est maintenant », ainsi que le clament les militants des mouvements écologistes radicaux. Son surgissement et son élan impérieux qui investissent la nature, dont l’être humain est et demeure une manifestation malgré ses prétentions à s’en abstraire, font le bonheur d’une figure chère à Épicure, qui avait choisi d’enseigner hors des murs d’Athènes.
À sa façon à la fois savante et pleine d’humour, Karel Capek, dans son Année du jardinier, donne vie à cette figure qui, penchée sur un petit bout de terre, est l’antithèse de l’homme « robot », de l’homme « écran » : connaître, admirer, prendre soin, accompagner et défendre sont le prix et la fierté du travail du jardinier. Enfin, « Une journée à Montchevrel II » aborde un autre aspect de l’espérance, inscrit en filigrane dans tout le numéro. Au courage intellectuel de Grossman, au courage des convictions morales d’Adélina Gallet ou à celui de Pierre, Catalina et Mojo devant l’hostilité souvent violente que suscite leur militance, répond le courage nécessaire à l’adolescent imaginé par Vincent Gille pour prendre congé de la quiétude de l’enfance et suivre son propre chemin.
Mirabilia ne pouvait refermer ce numéro sur l’espérance sans rendre hommage à un imaginaire qui ose braver et briser ce qui apparaît comme une fatalité. Ainsi, au lendemain de la Première Guerre mondiale, « l’utopie d’Albert Kahn » s’employa à réaliser le rêve d’une humanité pacifiée par la connaissance, le partage et la fraternité entre les peuples, en finançant, entre autres, « Les archives de la planète », dont sont présentés ici quelques autochromes.
Et parce que la fabuleuse imagination de la nature, dans sa témérité printanière, nous offre encore une beauté vivante, neuf gravures des artistes contemporains Jacob Demus, Siemen Dijkstra et Charles Donker accompagnent ce numéro.
Nous en remercions vivement la fondation Custodia, collection Frits Lugt, ainsi que Juliette Parmentier-Courreau. Notre reconnaissance s’adresse également à François-Marie Tarasconi, au musée départemental Albert Kahn et à Delphine Allanic et, pour leur fidèle et inestimable soutien, à Anne Chapoutot et Laurence Posselle.