Le premier numéro thématique de Mirabilia – ils le seront tous dorénavant - est consacré à la « source ». Indispensables à la vie, révérées, divinisées, dotées de pouvoirs ou de vertus extraordinaires, voire capables de se défendre contre les pollueurs – parlant d’une source « très limpide », Gervais de Tilbury raconte que « si on y jette un morceau de bois ou autre chose, il monte aussitôt de cette source une pluie qui trempe de la tête aux pieds celui qui l’a agressée » - les sources ont toujours été objets et sujets de merveilles.
Fidèles à notre désir de croiser les regards, nous avons exploré la source sous plusieurs facettes. Celle de l’origine avec Bernad Blancan, sourcier, avec Jean-Pierre Luminet, astrophysicien, spécialiste, entre autres, des cosmologies, qui nous parle de l’origine de l’univers,  avec Odile Tagawa, sage-femme, témoin de l’origine de la vie. Celle du mythe avec une libre variation d’Anne Guglielmetti sur l’histoire de la nymphe Aréthuse, et avec l’étude de Julie Cortella sur le film de Bergman, La Source, bâti autour d’un conte médiéval du xive siècle. La question des sources dans le domaine de l’histoire de l’art est évoquée, par un texte de Vincent Gille. Enfin, attentifs aux nombreux dérivés du mot « sourdre », qui a donné « source » mais aussi « surrection » et « insurrection », nous découvrons, grâce à Thomas Bouchet, un  exemple d’exaltation collective propre à ces moments particuliers qui mêlent dépassement de soi, engagement collectif et violence.

Car c’est là l’une des caractéristiques commune à ces regards : la source, par définition, émerge, jaillit, surgit, et cela ne va pas sans une manifestation brutale, sans un bouleversement radical. C’est le cas, bien sûr, de la naissance de l’univers, même si l’expression « Big-bang », nous explique Jean-Pierre Luminet, en donne une idée fausse. Le cas aussi de l’arrivée d’un enfant dans un couple, de la source du film de Bergman qui résulte d’une succession de viol et de meurtres et, bien sûr, de l’insurrection, dont les convulsions permettront, espèrent les insurgés un changement de régime politique ou social. C’est enfin le cas, paradoxalement, de Bernard Blancan nous faisait partager sa surprise et son émerveillement de voir se manifester, à travers lui, un pouvoir qu’il ne se connaissait pas et ne s’explique pas.
Mais au-delà, la source relie. Elle relie la veine d’eau d’en dessous et le puits d’au-dessus ; l’infiniment petit des réactions atomiques des premiers instants de l’univers à son expansion que l’on sait maintenant infinie ; la vie animale et sensible du nouveau-né à la communauté humaine dans laquelle il grandira, la mort des insurgés à la survie de leurs rêves de liberté et de fraternité, l’imagination poétique aux réalités insoupçonnées de la physique et de l’astrophysique. La source et, partant, le merveilleux qu’elle porte au jour avec elle, conjuguent l’imagination, l’expérience et la connaissance, chacune nourrissant l’autre de sa lumière et permettant toutes les métamorphoses et toutes les renaissances, telle Aréthuse qui échappe à son poursuivant et rejaillit, intacte, après avoir traversé le tumulte de l’océan.

Et ce ne sont pas les études de nuages de William Turner qui s’inscriront en faux contre ce mouvement sans cesse recommencé d’eau et de lumière.