C’est un objet rare – jadis il comptait parmi les plus précieux. C’est un objet double, à la fois verre et tain, dont les secrets de fabrication ont longtemps été jalousement gardés. C’est un objet capable de concentrer la lumière, de mêler le lointain au plus proche, de biaiser les perspectives, d’étirer l’espace. Sabine Melchior-Bonnet nous rappelle que l’invention du miroir moderne, à la Renaissance, a accompagné et influencé notre vision du monde et l’affirmation de notre individualité.
Il y a mille et une manières de saisir le miroir. L’objet, tout d’abord, est complexe et fragile. Vincent Guerre, au plus près de la réalité physique et sensible des miroirs, nous en rapporte l’histoire et la diversité. Le Coréen Seu Ring Hai nous apprend à quel point il peut être surprenant pour qui n’en a jamais vu. Ce qui est reflété dans le miroir est en effet toujours troublant. Cyrano de Bergerac s’amuse à se perdre, et nous avec, dans les reflets liquides d’arbres courbés sur un cours d’eau. Yasunari Kawabata s’enfonce dans une lente et envoûtante rêverie provoquée par le reflet mouvant d’un visage sur la vitre d’un train. Reflets, encore, que multiplie le naufragé de Marcel Marien pour tenter de confirmer sa présence et de vaincre sa solitude. Reflets, toujours, mais cette fois agissants, avec les « neurones miroirs » découverts par Giacomo Rizzolatti au cœur même de nos cerveaux et par où s’inscrit l’imitation dans le corps humain – et donc l’apprentissage, le langage, l’empathie.
L’image de soi – ou celle d’un double ? – renvoyée par le miroir peut être inquiétante. C’est l’aventure si subtilement contée par Joseph Conrad dans Le Compagnon secret. Et cette multiplication des visages et de leur représentation, toute époque et origine confondues, Vincent Gille l’explore pour y lire, in fine, le reflet d’une humanité partagée, au-delà des différences. Se jouant des plans, des perspectives, des échos, le photographe Jean-Christophe Ballot nous offre le kaléidoscope de quelques-unes de ces figurations. Mais ce n’est pas toujours un visage, ou une figure humaine, qui apparaît dans le miroir. La vision intériorisée du chatoiement à la fois éclatant et sensuel du monde constitue elle aussi, comme nous le révèle Anne Guglielmetti à propos du peintre Pierre Bonnard, un effet de miroir des plus savants, des plus heureux.
Reste que l’autre – l’étranger, aussi proche soit-il – conserve son irréductible et féconde singularité. Régis Boyer le souligne, dans l’entretien qu’il a accordé à Mirabilia, à propos des Scandinaves qui se jouent à leur manière, si différente de la nôtre, des multiples passages entre soi et le monde, entre le visible et l’invisible.

Cette cinquième livraison de Mirabilia n’épuise évidemment pas tous les sortilèges du miroir. Objet de merveille par excellence, chacun y cherche la réponse à sa question, à son désir ou, au contraire, se laisse distraire, égarer, séduire par ce qu’il y trouve d’inattendu, d’inespéré.
Nos remerciements s’adressent à Régis Boyer, Vincent Guerre et Sabine Melchior-Bonnet, à Marine Degli, ainsi qu’à Antoine de Galbert qui nous a autorisés à reproduire un détail de la veste de chasseur Malinké de sa collection. Enfin, nous sommes particulièrement fiers et heureux d’avoir pu reproduire neuf des photographies que Jean-Christophe Ballot, répondant très amicalement à notre sollicitation, a réalisées spécialement pour Mirabilia.