L’Allemagne, oui, où Mirabilia convie ses lecteurs pour un voyage subjectif et forcément partiel mais en compagnie des quatre grandes personnalités visionnaires que furent, chacun dans leur domaine, l’écrivain Ernst Wiechert, le philosophe Ludwig Klages, le peintre Max Ernst et l’architecte Mies Van Der Rohe.
Si les noms de ces deux derniers nous sont familiers, Wiechert, en revanche, bien que célèbre de son vivant, a été oublié pendant de longues années, y compris Allemagne. Son roman Les Enfants Jéromine, publié en 1946 et accessible en français deux ans plus tard, était pourtant et demeure, comme tout chef-d’oeuvre littéraire, un profond, profus et envoûtant bonheur de lecture. La pensée très singulière de Klages, qui a subi une éclipse similaire outre-Rhin, est encore plus ignorée aujourd’hui en France où seuls deux de ses essais ont été traduits
fort tardivement.
L’un et l’autre ont traversé l’effroyable première partie du XXe siècle, ceci expliquant peut-être cela. Ernst Wiechert, qui est resté en Allemagne jusqu’en 1945, a été un opposant déclaré au nazisme. De cet engagement plus moral que politique, qui est aussi au coeur des Enfants Jéromine, témoigne le discours particulièrement émouvant qu’il a prononcé en 1935 et dont
Mirabilia publie la première traduction en français. Adressé aux étudiants de Munich, ce discours est intitulé « Le Poète et son temps », car si Wiechert est un magnifique romancier c’est d’abord parce qu’il a vécu en poésie, y compris à une période où la poésie et la compassion étaient des crimes.
Ludwig Klages est assurément un personnalité plus ambiguë. Il n’en reste pas moins que son texte L’Homme et la terre, traduit lui aussi pour la première fois en français pour Mirabilia, dénonce, dès 1913, l’exploitation sans frein de la planète par le modèle de société forgé en Occident et dont nous mesurons aujourd’hui pleinement les conséquences désastreuses.
Mirabilia a demandé à son traducteur, le germaniste Olivier Hanse, de situer dans son contexte historique ce texte polémique, dont Klages écrit lui-même qu’il est « un réquisitoire », à une époque où l’impérieuse nécessité d’une pensée incluant tous les règnes du vivant n’avait pas la publicité ni l’urgence qu’elle a actuellement. Et, curieuse de savoir comment Ernst Wiechert peut être perçu en Allemagne aujourd’hui, Mirabilia a donné la parole à l’historien de l’art Hubert Salden, dont la lecture toute personnelle des Enfants Jéromine atteste, si besoin était, la force de la littérature dans ce qu’elle a de plus pérenne : sa capacité à tisser, par delà les générations et le chaos de l’Histoire, des liens féconds entre un grand écrivain et son lecteur.
Les deux autres « grands » croisés lors de ce voyage, ont été eux aussi des visionnaires. À propos de Max Ernst, dont l’art ouvre la porte du rêve qu’une humanité inquiète ne cessera jamais d’interroger, l’historienne de l’art Julia Drost nous parle des « D-paintings » qui sont, dit-elle, « une des plus belles déclarations d’amour de l’histoire» de la peinture. Et l’architecte Guillemette Morel Journel, grâce à qui cette discipline fait son entrée dans les pages de Mirabilia, nous raconte, non sans humour, la création dans l’Illinois par Mies Van Der Rohe d’une maison où habite désormais « toute l’architecture du monde ».
Visionnaires enfin, autant que mystérieux et virtuoses, sont les dessins du peintre et graveur de la Renaissance Albrecht Altdorfer, qui constituent le cahier central de ce numéro. Lequel se referme sur les notes prises par Anne Guglielmetti lors d’un périple chez ce proche voisin tellement méconnu des Français : l’Allemagne.
À travers chacun de ces écrits et dans chacune de ces images, Mirabilia espère, conformément à ce qu’elle s’est toujours proposé, que le lecteur percevra la beauté dont les hommes sont capables dans leurs actes comme dans leurs pensées ainsi que la fabuleuse richesse (tant menacée) de la planète qui leur donne asile.


Nous remercions tout particulièrement l’artiste contemporain Philipp Hennevogl de nous avoir permis de reproduire deux de ses gravures et adressons nos chaleureux remerciements
aux auteurs et traducteurs de ce numéro, parmi lesquels Andreas Rielhe dont l’enthousiasme ne s’est jamais démenti.
Que soient aussi remerciés l’Institut Goethe de Paris qui, par l’intermédiaire de sa directrice, Dr Barbara Honrath, et de sa bibliothécaire, Ulla Wester, nous a apporté un précieux soutien,
ainsi que Delia Sobrino pour la fidèle attention qu’elle a toujours accordée à Mirabilia.
Et rendez-vous est pris à l’automne, pour un autre voyage, cette fois en Italie !